Petit homme (08)

Paradoxalement, il n’était en proie à nulle angoisse. Mille questions venaient, se bousculaient, cognaient aux parois des circonvolutions de son cerveau en feu. Il souffla lentement, et une légère chaleur envahi son ventre. Il fallait garder son calme, attendre que les réponses se fassent claires, limpides, naturelles. Rien ne sert de verser dans des supputations stériles, fruits d’une imagination qu’il savait débordante pour ce qui le concernait. Non, il faut tout reprendre du début et chercher le fil, le lien. Il suffit juste de réécrire l’histoire, édulcorée de tout ce qui peut brouiller les pistes. Intérieurement, il sourit, s’il faut faire le tri entre le possible et l’imaginaire, le réel et le surnaturel, autant cesser de cogiter un plan précis à ce qui lui arrive. Cependant, au-delà du merveilleux, au-delà de l’impossible existence d’un autre monde, il sentait intimement qu’il vivait sa vie, qu’il la poursuivait, que la rencontre avec sa sœur jumelle n’était pas le fruit du hasard. Son inconscient l’avait intégré à lui, en lui.

• Où suis-je ?

• Au cœur de la planète terre.

Un long soupir, comme pour retrouver ses esprits, Cydonia regarda son frère avec infini douceur. Ce moment tant attendu, enfin arrivé, elle l’avait préparé. Tant d’espoirs, tant de rêves, aujourd’hui elle ne trouvait plus les mots. La chronologie des révélations milles fois ressassée, est dispersée comme sable au vent.

Gorge serrée, larmes aux yeux elle pris sur elle et poursuivit:

• Le cataclysme n’eut pas pour seul effet l’immense inondation planétaire, il y eut aussi des séismes de grandes ampleurs, et la terre cracha son feu, comme défit lancé aux éléments. La terre, l’eau et le feu se livrèrent à un combat sans merci, dont on sait maintenant qu’il n’y eu ni vainqueurs, ni vaincus.

Il y a des milliers d’années, les Lémuriens vivaient sur la terre, ils étaient répandus sur toute la surface du globe et vivaient en bonne intelligence avec l’homme.

Deux familles régnaient sur l’espèce, les Makis et les Indris. Babakoto, le chef suprême des Indris était violent et cruel, quant aux Makis, leur Maître Mongoz était sournois, veule et tout aussi mauvais que son cousin. Personne ne sait ce qui s’est véritablement passé lorsque les lémuriens ont décidé de sauver l’espèce humaine lors du gigantesque bouleversement. Cependant la version la plus répandue et la plus vraisemblable est que Babakoto et Mongoz se sont alliés pour réduire en esclavage les hommes et les amputer ainsi de toute véelléïté à régner sur la terre.

Toute communauté génère des individus mentalement instables, certains sont inoffensifs, d’autres agressifs, ambitieux, mégalomanes, pétris de pouvoir. Ceux là sont dangereux, Babakoto et Mongoz se sont alliés. L’un intellectuellement pauvre et sexuellement amoindri, n’avait recours qu’à de bas instincts cruels et pervers, l’autre, lâche et perfide dépourvu de mâles appâts, ne jouissait que de ses forfaits.

Tous deux bien que différents, n’en avaient pas moins les points communs à tous les tyrans de l’univers, ils étaient égocentriques, vaniteux, orgueilleux, imbus de leurs personne.

16

Les lémuriens, dans la quasi-totalité restent des êtres doux, généreux, sociables et surtout admirablement intelligents. Parvenus dans le nouveau monde ils se regroupèrent et se lièrent contre les tyrans et se défirent du joug de l’asservissement et du mal. Il n’y eut ni vengeance ni chasse aux sorcières. Tout était à construire, les discussions furent longues, difficiles, âpres parfois même, mais à terme ils ne retenaient que ce qu’il leur paraissait bon pour la communauté, pour leur avenir. Faisant fi des intérêts personnels, mercantiles, ils réinventèrent le monde.

Cydonia parlait d’une voix mélodieuse, sans intonation particulière. Le petithomme, l’écoutait religieusement, la tête penchée, les yeux plantés dans le sable. Unchantpolyphonique agencé suivant les règles du contrepoint, accompagnait le récit. Les sons provenaient de partout, se confondaient, s’articulaient en symbiose parfaite. Le lieu devenait instrument, la mélodie fondait les décors, la musique ne s’entendait plus, elle était en chacun, comme partie de l’être.

• Salut les copains

Un sursaut, le couple se retourna comme un seul être.

• Ah bonjour D’jeck !

• J’espère ne pas vous déranger.

• Non pas du tou

Répondit le petit homme dont la voix trahissait un brin de déception à voir rompre ainsi la magie de leur intime communion.

• Tant mieux car je viens déposer officiellement une plainte au sujet du mépris dont je fais l’objet, et contre l’aristocratie par la même occasion.

La jeune femme leva les yeux au ciel, et dodelina la tête en souriant avec un air entendu

• Je veux parler de Môssieux Ling-Lom.

• Et que t’a-t-il encore fait, ce cher Ling

• J’ai honte, j’ai honte pour lui, je n’ose même pas te dire…

Le lézard juché sur ses membres postérieurs se contorsionnait, pattes à la hauteur des yeux, tel un acteur déclamant sa tirade au plus fort du drame.

• Allons D’jeck, reprends toi, que s’est-il passé,

• Et bien Monsieur Lom m’a traité de plénipotentiaire, oui Madame plénipotentiaire, à moi. Il m’a dit de venir te voir car il n’ose pas te déranger en ces moments de retrouvailles, et il a ajouté, oui Madame, il a ajouté tu es le meilleur plénipotentiaire pour ce genre de mission auprès de Cydonia.

Plénipotentiaire tu te rends compte, ça m’a foutu un coup

16